François Fonty

Pierre Guillois, auteur poil à gratter

par Alexandre Bauer publié le 29/12/2024

Pierre Guillois, auteur poil à gratter

Josiane 

Pour ceux qui s’attendaient à voir débarquer un gros et un maigre, ça n’a rien à voir!» Le ton est donné sur la scène de La Pépinière théâtre,  deux drôles de fantômes assis sur une chaise s’adressent directement au public venu voir Josiane, la nouvelle pièce de Pierre Guillois. Cet avertissement sous forme de prologue peut dérouter les non­ initiés, mais ceux qui connaissent la fantaisie débridée et l’humour totalement absurde de ce met­teur en scène comprennent le clin d’œil : il renvoie aux Gros patinent bien, son spectacle précédent qui racontait l’épopée burlesque d’un homme maudit par une sirène et parti à l’aventure à travers le monde. Avec, à ses côtés, un maigre à moitié nu, brandissant tout au long de l’histoire des car­ tons pour tenter de donner du sens à cette histoire abracada­ brantesque quasiment muette.


Surenchère de rebondissements

Molière du théâtre public en 2022, cette farce visuelle et drô­lissime tourne depuis quatre ans. Et son succès a dépassé nos fron­tières : après le Festival d’Edim­bourg, des projets sont en cours avec l’Asie, le Canada et l’Austra­lie. Avec Josiane, pièce grinçante et complètement déjantée, Pierre Guillois va sans doute moins plaire à tout le monde. Dans une Camargue fantasmagorique, un noman’s land perdu dans des marécages, il convoque deux vagabonds fantômes partagés entre la culpabilité d’un forfait et la découverte de leur sexua­lité, une chasseuse revêche et un huissier de justice. Tous rôdent autour d’une caravane posée là: ils attendent Josiane mais celle-ci reste mystérieusement invisible. Malgré les textos fantaisistes de ses parents nonagénaires prêts à inventer n’importe quoi pour faire revenir à la maison cette fugueuse de 71 ans.

Josiane, c’est un peu une version queer et apocalyptique d’En atten­dant Godot où la folie le dispute au potache. Une vaste farce aux airs de polar métaphysique écrite au fur et à mesure par un scéna­riste en manque d’inspiration qui se lâche dans une surenchère de rebondissements les plus invrai­semblables et sensationnels.

<< Le théâtre n’est pas là pour être politiquement correct►►

« Les spectateurs qui ont vu Bigre ou Les Gros patinent bien peuvent être déstabilisés, reconnait Pierre Guillois. Cette fois, ce n’est claire­ment pas un spectacle accessible à tous. La pièce parle de sexualité de façon très brute et sans délicatesse: le désir, c’est toujours  très compliqué. Le théâtre n’est pas là pour être politiquement correct mais pour aborder ce qui nous  torture, ce qui nous hante, tout ce qui n’est pas forcément glorieux et qu’on a tendance à taire. Et j’ai la naïveté de croire que l’humour peut rassembler. Irrésistible dans le rôle de la mère de Josiane, le comédien Jean-Paul Muel vaut à lui seul le déplacement. « Jean-Paul, c’est ma vieille. Chaque fois, je  cherche d’abord une comédienne pour les rôles de femme, mais je reviens toujours vers lui. Il est incroyable. »

Les créations à l’imagination débordante de Pierre Guillois sont un beau ter­rain de jeu pour les acteurs, « ses artistes créatures ». Mais avant d’affirmer son théâtre très visuel, l’auteur a fait ses armes en mon­ tant les grands classiques, Roméo et Juliette ou Pelléas et Mélisande. Sans rencontrer le succès. À côté de cela, il a toujours écrit,(< des trucs un peu bizarres». Sa nomi­nation comme artiste associé au centre dramatique de Colmar va tout changer. En travaillant dans les quartiers défavorisés, il découvre une diversité qui lui manquait. « Je trouvais ce métier morose. Et là, j’ai eu un déclic. J’ai compris que l’on pouvait  écrire autrement, pour un autre public.» Quand il dirige ensuite le théâtre du Peuple de Bussang, il garde les mêmes objectifs qui lui inspirent des formes burlesques.

Nouvel ovni en perspective
Entre Besançon où il habite et la Bretagne où il a créé sa com­pagnie, le singulier Pierre Guil­lois passe surtout la plupart de son temps sur les routes. Bigre, comme Les Gros patinent bien, tourne toujours, après plus de 500 représentations. Il signe aussi la mise en scène attendue de Dérapage, le nouveau caba­ret des Sea Girls. Avant de pré­senter une nouvelle création en septembre prochain: un drame rural raconté à la fois par les per­sonnages et des brebis, d’épou­vantables commères. Un nouvel ovni théâtral en perspective.

On aimerait savoir ce qui lui inspire de tels projets.  » Les gens n’ont peut-être pas envie d’être dans la tête de ce type qui a écrit Josiane, parce que c’est quand même plein de noirceur. Ils s’ima­ginent souvent que j’ai eu une vie complètement dingue pour écrire de telles choses . En fait, issu de la petite classe moyenne de province, j’ai eu une enfance assez rangée. Mais comme tout le monde, j’ai vu que la vie était plus compliquée que cela, plus sale aussi.» Lui la rend bien plus drôle en tout cas.•

ALEXANDRE BAUER

A La Pépinière théâtre (Paris z•), 1 h 30. Jusqu’au 25 janvier . theatrelapepiniere.com