“Les gros patinent bien” : un cabaret d’une démoniaque virtuosité au Théâtre du Rond-Point
[…] Rondouillard, barbu et en costard-cravate, Olivier Martin-Salvan n’a pas les mêmes ambitions. Il ne bougera jamais de son siège tout au long des Gros patinent bien, ce cabaret de carton qu’il a imaginé avec Pierre Guillois, maigrissime et très agité compère, juste revêtu quant à lui d’un slip de bain noir. Ces deux-là ré-architecturent notre imaginaire avec une folie burlesque digne des meilleurs clowns. Il faut voir Martin-Salvan raconter, quasi immobile, leurs épiques aventures dans un anglais shakespearien totalement réinventé ; et Guillois faire vivre l’action en se démultipliant avec ses bouts de carton où sont inscrits lieux, objets, animaux et personnes. Histoire que le public se repère. Exercice d’une démoniaque virtuosité, où-, sans autres accessoires, les deux larrons nous baladent du Grand Nord à l’Espagne, quêtant le grand amour ou autre dépassement héroïque de soi. Et le rire surgit du décalage entre la passivité apparente du gros et l’énergie désespérée du nu tout maigre, préposé aux décors de cette don quichottesque épopée. De leurs disputes aussi, de ces délirants moments où ils sortent de leurs rôles pour avouer qu’ils sont crevés, ne supportent plus ce marathon… Pourtant, avec leur théâtre pauvre et leur langage archi-faux, ils ont créé un monde ; et retrouvé bizarrement le nôtre, avec ses inégalités, ses rapports de force, sa violence, ses aveuglements (ah ! les délirants moments où surgissent les réfugiées !). Nier la réalité permet au théâtre de mieux la voir.